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    << Quelle drôle d'ambition


    Le lendemain, elle se retrouvait sur une route désertique à attendre un bus qui ne venait pas dans un abri inefficace contre le froid. La température avait chuté brutalement depuis la veille, et il tombait un mélange de pluie et de neige. Sacha avait froncé le nez quand elle avait su où Ellie devait se rendre exactement :
    -Quoi ?! C’est perdu là-bas. C’est ravitaillé par les corbeaux.
    -C’est un peu loin d’ici, mais je serais tranquille, pas trop de monde à côtoyer, je préfère ça Elle ne parvînt pas à rassurer son amie, pas plus qu’à la convaincre.
    -Surtout n’hésite pas à m’appeler en cas de problèmes. Au moindre souci, promis ?
    Et elle promit.

    Elle avait voyagé en train une grande partie de l’après midi puis s’était installée dans le pseudo abris de bus.
    La gare avait fermée. C’était la fin de la journée
    Le vent froid passait à travers les parois cassées et de l’eau lui coulait dessus car il pleuvait. Elle regarda l’heure et constata que le bus était en retard. Alcide lui avait donné sa propre montre. Et Ambre lui avait donné un joli pendentif juste avant qu’elle monte dans le train – un porte bonheur.
    Après avoir attendu une bonne heure de plus que prévue, elle accepta enfin le fait que le bus n’arriverait jamais. Il avait cessé de pleuvoir, alors elle ramassa les deux sacs qui contenaient toutes ses affaires. Elle n’avait plus le choix, elle devrait marcher pendant une dizaine de kilomètres, et sur le coté gauche de la route, le coté droit étant impraticable, donc impossible de faire du stop, du moins pour l’instant. Courageuse, elle se dit que c’était faisable. Peut être que plus loin elle pourrait changer de coté, et espérer arrêter une voiture. Au bout de deux kilomètres elle regretta sa décision, se traitant de tous les noms. Il s’était remis à pleuvoir, et marcher sous la pluie sur une route de campagne …

    Elle vit enfin une voiture, qui malheureusement venait face à elle. La voiture roulait beaucoup trop vite, et elle n’avait pas la place de se décaler sans tomber dans le fossé. La voiture la croisa au niveau d’une énorme flaque d’eau qui l’éclaboussa entièrement, une grande vague qui passa au-dessus d’elle, impressionnant ! En d’autre circonstance, elle aurait trouvé ça drôle. Là, c’en était trop ! Plus question à présent d’espérer monter dans une voiture, personne ne la prendrait dans cet état. La voiture s’arrêta plus loin et fit une marche arrière sauvage, comme si on voulait l’éclabousser une deuxième fois. Comment pouvait-on être aussi méchant ! Elle faillit en pleurer. La voiture s’arrêta près d’elle. Le conducteur, un homme d’une bonne vingtaine d’années avec un beau sourire désolé, s’allongea sur le siège passager afin d’ouvrir la portière.
    -Vraiment, je suis navré, je vous ai mis dans un triste état. Je vous emmène ?
    Il était plutôt beau garçon, pourtant elle préféra décliner l’offre car il n’allait pas dans le bon sens
    - Vous avez tort, la route est encore longue, vous êtes ballée comme une bête de somme, et nous allons au même endroit.
    - Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
    -Simple déduction, notre employée doit arriver ce soir, et il n’y a que vous sur la route. Vous êtes Ellie ? N’est-ce pas ?
    -Oui c’est bien moi.
    -Je suis Raoul, Raoul Jéckil .Allez, grimpe !
    « Tiens, il l’avait tutoyée »
    - Je, je suis trempée.
    -Je sais c’est de ma faute.
    - Et mes sacs ?
    - Il descendit de la voiture et la débarrassa des sacs qu’elle portait, pour les mettre dans le coffre.
    Il lui ouvrit la portière et l’invita à s’asseoir avant de reprendre le volant.
    -Quel temps de cochon, c’est vraiment n’importe quoi la météo, l’hiver s’éternise ; ici il pleut à verse alors que chez nous c’est tout blanc. Je suis désolé, j’aurais dû venir vous chercher plus tôt. J’ignorais que le bus ne passerait pas, je suis venu dès que j’ai appris. Je peux vous appeler Ellie.
    -Oui, je préfère, en fait mon vrai nom c’est Aliénor, je n’aime pas du tout, c’est petite nièce d’une amie qui ma surnommée Ellébore parce qu’elle n’arrivait pas à dire mon nom, et c’est vite devenu Ellie.
    -C’est vrai que c’est plus jolie.
    Le voyage fut plus long que prévu. La route était boueuse, et la neige venait de remplacer la pluie, rendant la conduite difficile. Un camion les doubla à vive allure, éclaboussant le pare-brise d’eau boueuse.
    -Quel cochon ! Pesta Raoul en actionnant le lave-glace.
    Une vraie odeur de mandarine se diffusa dans la voiture.
    -C’est de la mandarine ?
    -Oui, c’est nouveau, acquiesça-t-il, en souriant. Il y a plein de nouveaux parfums, Et très bien imité en plus : Vanille, violette, et les deux derniers : tarte aux citrons, et chocolat. C’est parfaitement inutile, ça donne faim, mais ça se vend comme des petits pains.
    Elle fronça du museau, Elle ne s’imaginait pas parfumant sa voiture à la violette.
    Il neigeait de plus en plus fort et les flocons semblaient frapper le pare brise à l’horizontale. Elle se demandait comment Raoul arrivait à conduire dans de telles conditions.
    Raoul n’arrêtait pas de parler, lui racontant tout ce qui c’étaient passé ces deux dernières années : les évènements tragiques étaient malheureusement les plus nombreux. Il meubla le silence qui aurait pu s’installer entre eux en lui parlant des nouveautés, livres, films, musique. Sacha s’en était déjà chargé. Mais elle le laissa faire, comprenant qu’il ne cherchait qu’à engager la conversation, et lui changer les idées, c’était gentil de sa part. Elle le savait au courant de ses déboires passés. Il essaya même de la faire rire lui racontant les quelques dernières blagues à la mode, où des anecdotes récentes. Dépitée, Elle parvint tout juste à sourire.
    -Je suis désolée, je ne sais plus rire, s’excusa-t-elle.
    -Ce n’est rien, ça va revenir. J’ai connu ça moi aussi.
    Son regard s’assombrit, et elle comprit…

     

    *****
     


    Il s’engagea enfin dans une allée bordée d’arbres serrés les uns contre les autres, au bout de laquelle se trouvait, une ancienne maison avec une petite tour accrochée à son coté droit. Tout était recouvert d’une neige épaisse et récente, parfaitement blanche.
    -C’est beau n’est-ce-pas ? Dit-il avec fierté.
    -En effet, c’est une belle maison.
    Ils descendirent de la voiture, et pendant qu’ils récupéraient les sacs du coffre, une énorme boule de neige vint la frapper .
    -Je suis désolé, ce n’est pas vous que je visais. C’est ce garnement qui vous a laissé sous pluie et la neige pendant des heures. Vous êtes trempée !
    L’homme qui venait de prononcer ces mots semblait fâché mais pas en colère. Il vint à leur rencontre
    Il était très grand, droit et sombre. Il tendit lui tendit la main, en se présentant, Ludgor Hyde.
    -C’est un prénom ancien du 18ème pour être précis, précisa-t-il en voyant sa surprise.
    Il avait la main glacée à cause de la neige.
    Raoul attrapa les deux sacs et l’invita à entrer.

    Il lui montra l’endroit où elle allait loger, Un vrai appartement sur deux étages, situé dans la tour.
    Il l’invita à entrer dans le petit hall d’entrée au rez-de-chaussée. La porte avait tout du charme ancien avec sa lucarne vitrée protégée par une arabesque en fer forgée. . Sur la gauche il y avait un petit meuble à tiroir, sur la droite, une porte ouvrant sur la résidence principale. Raoul lui affirma qu’elle serait seule à en avoir la clé, elle pourrait entrer dans leur appartement pour y faire ce pourquoi ils l’avaient embauché, par contre, eux n’auraient en aucune façon accès à son logis, elle trouvait ça rassurant.

    Après qu’ils aient grimpé un escalier en colimaçon, Raoul lui présenta les lieux d’un air embarrassé :
    _Voilà, vous avez un semblant de salon-cuisine, et au dessus chambre, salle d’eau, et un “truc’’ qui peut faire office de débarras ou de bureau.
    _C’est parfait, J’aime beaucoup, sincèrement.
    _C’est un peu froid l’hiver, et chaud l’été. Et j’avoue que le mobilier est vieillot, on se croirait dans un appartement rétro. On n’a jamais pu trouver de locataires. Je me demande bien pourquoi.
    Il y avait comme une touche d’ironie dans sa voix au moment il prononça cette dernière phrase.
    C’était vrai que c’était vieillot, un vieil évier blanc en émail rayé une gazinière antique, et un petit frigo faisaient face à un meuble de cuisine en bois qui n’était pas de dernière jeunesse. Entre les deux, une table de cuisine recouverte d’une toile cirée en bonne état mais aux motifs démodés. Et au plafond une lampe avec un abat-jour à la couleur indéfinissable, tellement ancien qu’on avait l’impression de faire un saut dans le temps rien qu’en le regardant : il était plat en verre avec les bords ondulés.
    _Il parait que ça vaut une vrai fortune dans les brocantes, pourtant Ludgor ne veut pas s’en séparer, je me demande bien pourquoi ?
    _Ça me change de ma cage. C’est exactement ce qu’il me faut.
    Au-dessus la chambre était minuscule mais avait un grand lit à baldaquin avec des tentures rouges. Ce qui faisait irrationnel dans une pièce aussi petite.
    _Il en a qui aime s’excusa Raoul, moi ça me met mal à l’aise. Je déteste cette pièce, elle est oppressante. Quand à la salle d’eau, elle est dans le même style que la cuisine.
    Il y avait tout le “confort’’ En espace réduit, très réduit :
    _Voilà, dernier cri, toilette et lavabo spécial gastro, et là vous pouvez vous brosser les dents dans le lavabo en même temps que vous prenez votre douche dans la vieille baignoire sabot. Encore un vestige, notez que vous aurez le choix , à condition d’aimer prendre son bain assis.
    Elle posa ses sacs de voyage dans la chambre, remettant à plus tard le rangement dans l’armoire au bois noirci par le temps. On se serait vraiment cru dans le passé.
    Quelques instants plus tard, après s’être douchée et changée, elle était dans le grand salon, en compagnie de ses deux employeurs en train de savourer une bonne grosse tasse de chocolat chaud...
    _Ludgor fait le meilleur chocolat du monde, je n’en ai jamais bu de meilleur. Déclara Raoul, en prenant sa tasse de liquide brun-rose.
    _C’est vrai qu’il est bon. Dit-elle après l’avoir goûté.
    _ Ça fait des années que je m’exerce, répondis Ludgor d’une voix monocorde, J’ai …Ma touche personnelle. Puis il enchaîna sans transition « Nous avons appris que vous avez eut quelques mésaventures des plus déplaisantes. Sachez que nous en sommes désolés. Nous vous comprenons, Raoul à eut par le passé des ennuis de ce genre. Aussi nous éviterons d’en parler. Et effectivement ce fut la première et la dernière fois que le sujet fut abordé. La conversation changea brusquement de direction débutant sur le travail qu’elle aurait à faire. Puis sur des choses plus communes, quelques banalités d’usage, comme on dit souvent histoire d’agrémenter la conversation.
    Elle s’occuperait, du ménage et du linge elle pouvait s’occuper du sien en même temps car il n’y n’avait pas ce qu’il fallait à l’étage, et elle préparerait le repas du soir, pas du petit déjeuner, car ils se levaient très tôt touts les deux. Et enfin on verrait plus tard si elle pouvait aussi s’occuper de la paperasse, car ils détestaient ça autant l’un que l’autre. Tant qu’on ne lui demandait pas “autre chose’’ ça allait. Ludgor rajouta que comme elle serait seule la journée la plupart du temps, et comme ils partaient très tôt, elle n’aurait qu’à se servir de la salle de bain si elle le souhaitait, ce qu’elle avait chez elle étant de piètre qualité.

    Ludgor se leva pour débarrasser les tasses et, au passage, passa délicatement sa main dans les cheveux de Raoul, elle se dit à ce geste, qu’effectivement ils ne risquaient pas de lui demander « autre chose ».
    Puis il ajouta :
    « Demain vous vous occuperez du linge, et de la poussière, inutile de vous lever aux aurores, et vous trouverez deux ou trois bricoles dans votre frigo. »

    Que des choses positives, en somme. Ellie se sentait, confiante, étrangement confiante, anormalement confiante. Tout semblait parfait.
    Et cela ne l’alarma même pas.

     

    à suivre >> Nouvelle vie





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