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    < la rencontre

    ( avec fond sonore)
    La nuit suivante, l’orage le réveilla. Il se rendit compte alors à quel point il avait soif. Il essaya de se hisser vers la minuscule fenêtre à la vitre cassée qui a elle seule éclairait la cave la journée. Il voulait récupérer de l’eau pluie pour boire. Il ne parvint qu’à se couper les poignets et les avants bras. Il s’accrochait désespérément au rebord de la fenêtre d’une main, plaçant l’autre aussi loin qu’il le pouvait en avant pour récolter de l’eau, ses pieds griffant le mur pour essayer de rester en place le plus possible. Le vent poussa une vague de pluie derrière la vitre. Mais comme la cave était enterrée et que la vitre à l’extérieur était au ras du sol, c’est de la boue qu’il prit dans la figure, il en avait plein les yeux. Il tomba à la renverse. La peur s’empara de lui. Il allait mourir de soif. Une mort atroce, il ne voulait pas ! Il se précipita contre la porte. Il la heurta de toutes ses forces. Et il hurla de toutes ses forces pour que quelqu’un vienne le secourir. Il voulait de l’eau, pour sa gorge, ses mains et ses bras blessés, pour ses yeux. Il hurla jusqu'à l’épuisement. Il fini par s’endormir sur les marches. Il ne se réveilla pas quand la porte s’ouvrit. Il crut qu’il rêvait quand quelqu’un le pris dans ses bras pour l’emporter dans une autre pièce de la maison. Une pièce entièrement blanche. Il se laissa déshabiller plus par épuisement que par docilité. Il tremblait, plus de peur que de  froid. Il se réveilla totalement quand on le plaça dans une baignoire d’eau à peine chaude. Pris de panique, il voulu en sortir mais deux mains le saisir par les épaules l’obligeant à rester dans l’eau.
    _De l’eau !  
    _Non !
    Alors qu’il allait boire l’homme l’en empêcha.
    _J’ai soif !

    _Ne bois pas ça, c’est plein de savon.
    Il se sentait frustré, avoir toute cette eau et ne pas pouvoir en boire une seule goutte !
    _Tiens avale ça plutôt. Et boit doucement.
    L’homme lui tendait un grand verre d’eau, il le regardait d’un air sévère, les sourcils obliques, les dents de devant serrées et les lèvres en avant, il terrifiait Franck. Il prit le verre d’eau fraiche et dit faiblement :
    _merci.
    L’homme eut un sourire amusé, apporta une chaise à coté de la baignoire pour qu’il puisse y poser le verre une fois vide, et sortit le la salle de bain.


    Franck sursauta en entendant un claquement de porte. Retour brutal à la réalité ! Il n’avait pas pour habitude d’être pris par ses souvenirs. Il se leva lentement, en soupirant alla vérifier que les portes et les fenêtres de la maison étaient bien fermées. Le temps était à l’orage, c’était surement pour ça qu’il se sentait si angoissé ce soir là. Il détestait l’orage. Il lui semblait que toutes les choses difficiles de sa vie lui étaient arrivées pendant un orage. Il se fit un café plus que serré pour resté éveillé, et retourna s’asseoir dans le canapé, il brancha la télé, espérant se distraire un peu, sans aucune conviction.
     Il se réveilla en sursaut avec l’impression d’avoir fait un cauchemar. Surpris, il ne s’était pas rendu compte qu’il s’endormait.  La tasse de café était froide. Il en bu une gorgée et fit la grimace. « Vraiment infecte » Il n’aimait pas le café mais ne pouvait pas s’empêcher d’en boire.

    Il alla se préparer une tasse de chocolat.
    La toute première fois qu’il en avait

    bu remontait à très longtemps mais il n’en avait jamais oublié le gout.


    Il se revoyait assis dans un fauteuil devant un bon feu de cheminée enveloppé dans un peignoir épais bien trop grand pour sa taille d’affamé. L’homme assis à coté lui maintenait fermement la main pendant qu’il soignait son poignet avec un linge imbibé d’un produit jaune qui brûlait atrocement.
    _Jolis coupures !
    Après avoir fini le pansement, il fit claquer ses doigts d’un coup sec en montrant sa main qu’il essayait de caché dans la manche du peignoir, elle était encore plus meurtrie que l’autre. Il hésita à la montrer pensant à juste titre qu’elle le ferait encore plus souffrir que la première.
    _L’autre !
    Il céda devant le ton autoritaire. Il tendit la main meurtrie, l’homme s’en empara brutalement et la soigna avec application, en prenant bien son temps, et en veillait à n’oublier aucune coupure. Tout ça de façon un peut trop énergique à son gout.  
     Il ne savait plus s’il devait se sentir rassuré ou s’il devait avoir peur. L’homme s’approcha derrière lui et se mit à lui caresser les cheveux. Il se redressa brutalement, l’air offusqué. 

    _ Pour qui me prends-tu ? lui dit l’homme en esquissant un léger sourire. Je vérifiais simplement que tu n’héberges pas des hôtes indésirables, rien de plus. Apparemment il n’y a personne. Avec des cheveux aussi courts c’eut été un exploit pour ces petites bêtes. Tes cheveux sont très courts ; ça me fait penser que l’on cherche partout un jeune homme avec des cheveux aussi courts que les tiens. Et d’après les dire

    s il serait aussi maigre que toi, il paraîtrait qu’il aurait volé une très grosse somme d’argent chez le cordonnier avant de l’agresser sauvagement et de s’enfuir. Quelle ingratitude ! Il le traitait avec tellement de gentillesse !
    _Mais c’est faut ! J e n’ai pas…  
    _Assied toi. Maladroit que tu es. Je ne pouvais pas savoir que c’était toi avant que tu me le dises…
    Il s’effondra dans le fauteuil la tête dans les mains.
    _...Mais je m’en doutais un peu. Il posa ses mains sur ses épaules dans un geste protecteur. Mais quelque chose me dit que ce vieux grigou à non seulement menti, mais qu’il a plein de choses à se reprocher. Non ?
    _...
    _Non ?
    _si.

    Il s’assit dans le fauteuil d’en face.
    _Bien. Voilà ce qu’on va faire. Tu resteras ici le temps de te remplumer un peu, et d’être moins reconnaissable. Par contre il te faudra travailler pour rembourser

    la vitre que tu as cassée et la nourriture que tu as volée.
    Tu devras m’obéir, et sache que je peux être très sévère. Compris ? »
    Le pauvre Franck se sentait perdu, cela n’allait pas encore se produire. Il senti une boule dans sa gorge et une grande envie de pleurer. Ce fut pire encore quand il s’aperçut que l’homme le dévisageait. Il eut l’espace d’un bref instant, la conviction absolu qu’il entendait ses pensés …
     _ Ça suffit ! Je suis correcte moi !
    Il levé d’un bond et semblait soudainement très en colère. Le pire, c’était cet éclat dans ses yeux. Ils semblaient briller d’une lueur presque animale. Il s’approcha brutalement, l’attrapa par le devant du vêtement qu’il portait et le mit debout d’un coup sec, et l’obligea à le regarder droit dans les yeux (« des yeux de fauves »)
    Le pauvre garçon ne p

    u empêcher un gémissement aigu de sortir de gorge.
    _Si vraiment j’avais voulu abuser de toi je l’aurais déjà fait !
    Puis il le rejeta dans le fauteuil.
    A l’extérieur, l’orage semblait suivre la colère de l’homme éclairs et tonnerre s’étaient déclenchés en même temps.
    _Attends ici ! Si tu avais l’idée de te sauver sache que je te retrouverais très vite. Et gare à toi !
    « Pour aller où ? Dans cette tenue ? Et par ce temps?»

    L’homme sorti de la pièce en le laissant complètement abattu. Il resta seul un long moment pelotonné sur le fauteuil. Dans la cheminée, le feu avait perdu de sa vigueur. Maintenant il avait froid, et l’avenir lui paraissait cruellement incertain. Il n’avait pas d’autre endroit où aller. Ils le savaient tous les deux.
    _Je ne sais toujours pas comment tu t’appelles ?
    Il sursauta.
    Comme c’était étrange ! La voix était plus douce. Ce n’était qu’une question polie, posée sur le ton simple d’une conversation toute à fais banale. Il avait ramené du bois et il le mit en douceur dans l’âtre. Il n’y avait plus aucune trace de colère. Comme s’il ne s’était rien passé.
    Il quitta la pièce et revînt quelques instants après avec deux tasses fumantes, une grande et une petite. A sa surprise la plus grande était pour lui :
    _ Je suis près à parier que tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. Ou tout au moins que tu n’en as jamais gouté. Je me trompe ?
    _Non, Je…

    _C’est du chocolat. Tout simplement, Dans du lait c’est très bon. Vas-y goute. Si tu n’aimes pas ce n’est pas grave. Je ne t’en voudrais pas. Tu as le droit de ne pas aimer.
    Il avait appuyé le mot ‘droit’ intentionnellement.
     
    Oui, Le fameux chocolat, la première bonne chose qu’on lui donnait de toute sa vie. Et en plus il avait adoré ça. Le souvenir était intarissable. L’émotion était restée intacte. Il fallait vraiment qu’il ait eu une triste vie pour en être émus à ce point là. Décidément cette soirée avait été pleine de surprises.       
    « _ Et bien ? Comment t’a

    ppelles-tu ? Tu as bien un nom ? Un vrai ? Pas un numéro de matricule.
    Georges reposa sa tasse sur la petite table posée entre eux. Machinalement il jeta un coup d’œil pour voire s’il buvait la même chose que lui. Il lui sembla que oui. Sauf que le liquide était plus foncé, presque rouge. Etrange ! Georges lui sourit légèrement. Un très court instant il cru qu’il avait les canines légèrement plus pointues qu’un homme normal.  
    _Et bien, j’attends. 
    « La longueur de ses canines. »
    _Je te fais peur ?
    _Non, c’est l’orage.
    Décidément cette boule dans la gorge n’était pas près de partir.
    _ben voyons.répondit l'autre d'un air amusé. Et ton nom ?
     Il soupira, de toute façon il n’avait pas le choix. .. Puis il se ravisa au dernier moment et répondit :
    _Jérôme.
    Ce à quoi l’autre répond

    it :
    _Menteur ! Avec un sourire à peine dissimulé.
    Non, il avait des dents parfaitement normales. 
    _Bon d’accord ; « Bienheureux ».

    _Pardon ? Parles plus fort s’il te plait je ne t’entends pas.
    (« S’il te plait ? » c’était sans doute la première fois qu’on lui parlait ainsi « S’il te plait ! »)
    Il prit une profonde inspiration et répondit :
    _Bienheureux.
    _Bienheur…. ?? Ca pour une surprise s’en est une. Je ne sais pas si je dois en rire ou pleurer avec toi ! Qui a bien pût te donner un nom pareil ?
    _En tous les cas, ce n’est pas mes parents.
    _Désolé …. Très bien ; alors va pour Jérôme ! Tu t’es choisi un très joli prénom. Et je t’appellerais ainsi. Moi c’est Georges mais tu m’appelleras Monsieur. Tu peux aussi m’appeler Maître !
    (« Maître ? »)  
    _Ce n’est qu’un titre dû à ma condition. Je suis notaire, et de même que les avocats, les gens s’adressent à nous de cette façon. Personnellement, je n

    ’aime pas du tout. Et toi qu’en penses-tu ?
    Il ne su que dire.
    _Très bien Jérôme. Ici tu as le droit de parler. Tant que tu reste poli et correcte tu n’as pas de soucis à te faire.
    Il lui passa la main dans les cheveux en signe d’affection. Enfin, il fit comme s’il y avait des cheveux.
    _Faudra attendre que ça repousse .Aller debout ! On ne va pas passer le reste la nuit ici. Je vais te montrer ta chambre. Je l’ai préparé moi-même tout à l’heure. Tu y trouveras une de mes chemises. Tu l’enfileras pour dormir. Tu ne va pas garder ça sur le dos pour la nuit - Lui montrant le peignoir il en profita pour le prendre par l’épaule - C’est à l’étage au dessus. La chambre n’a pas servis depuis que j’habite ici, mais avec la vie que tu as eue je suis persuadé qu’elle te plaira. J’allais oublier un détail : si tu as besoin de te levé la nuit, tu vois ce à quoi je fais allusion, il y a un cabinet avec chasse d’eau au bout du couloir. Il lui montra la porte au fond du couloir. J’imagine que tu n’en as jamais utilisé des comme ça, mais en principe il n’y a pas besoin de mode d’emplois, referme bien la porte et garde l’endroit propre. N’hésite pas à nettoyer toi-même en cas de problèmes.
    _Bien monsieur.

    _Parfais. Tiens !  Voilà ta chambre.
    Il le fit pivoter sur sa droite et ouvrit une porte qui donnait sur une pièce superbement meublée. Avec du papier peint sur les murs. Des grands rideaux aux fenêtres. Un li

    t immense avec une table de nuit de chaque cotés. Une armoire gigantesque magnifiquement ouvragée avec un grand miroir sur la porte du milieu. Et un bureau comme il rêvait d’en avoir un, avec plein de tiroirs pour y ranger des tas de livres et apprendre tous ce qu’il rêvait d’apprendre.
    _Et bien vas-y, entre !
    Il n’osait pas. Georges le poussa doucement mais fermement dans la chambre. Il avança lentement à l’intérieur comme s’il avait peur que sa présence fasse tous disparaître d’un coup. Arrivé au milieu de la chambre il se retourna et vit une coquète bibliothèque remplie de livres. Il s’en approcha comme à regret.
    _Tu ne sais pas lire ?
    Il fit non de la tête, les larmes aux yeux.
    _Je t’apprendrait. C’est promis.
    _Merci.
    _Bonne nuit petit. Repose-toi bien. Au fait, j’allais oublier. Dit moi pourquoi tu n’as pas pris les bijoux ?
    _Parce que, c est du vol.
    Il eut un sourire amusé en guise de réponse

    La porte se referma doucement. Il se retrouva seul sans bien comprendre ce qui venait de lui arriver. Il trouva la chemise sur le lit, il enleva le peignoir trop grand pour lui et enfila la chemise toute aussi grande. Comme il nageait dedans elle paraissait d’autant plus grande. Il se glissa dans le lit non sans hésitation. Et épuisé de cette journée pleine d’émotions confuses, épuisé aussi de sa vie pleine de malheurs, espérant enfin un peu de réconfort, il se mit à plat ventre, enfonça son visage dans l’oreiller dodu et moelleux et éclata en sanglots

     

    à suivre : Amanda >





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