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    LES PAPILLONS MIROIR
     
     
    Alcide siffla entre ses dents afin d’attirer un papillon miroir. Il en avait besoin pour retirer le cil qui lui était tombé dans l’œil. C’était très douloureux car il les avait très longs, et quand ça lui arrivait, bien souvent le cil passait sous le globe oculaire.
     C’était la fin de l’après midi et les papillons miroir se faisaient rares, ils ne rendaient services que la journée. Comme d’ordinaire, à cette heure-ci le ciel étai vert, et un seul nuage l’habitait, un gros nuage de neige rose, mauvais présage si celle-ci vous touchait.
     Alcide se réjouit quand il vit s’approcher une tâche brillante qui voletait vers lui.
     Le papillon vient se poser sur le 6ème doigt de sa main gauche. Une chance, c’était un papillon argenté, beaucoup plus rare que ses cousins dorés. L’inconvénient pour Alcide avec ceux-ci, c’était que ses yeux, parce qu’ils étaient jaunes, ne se reflétaient pas bien sur leurs ailes brillantes. Il retira le cil, qui par chance était moins vigoureux que les autres habituellement, avant qu’il n’arrive à se faufiler sous son œil. Il siffla de douleur entre ses dents, car le cil n’avait pas l’intention de se laisser faire. Quand il y parvint enfin, il embrassa le papillon pour le remercier et pour lui signifier qu’il avait rempli sa mission à la perfection. Celui-ci frétilla en gloussant avant de s’envoler, car ce très tendre baiser l’avait agréablement émoustillée. C’était une femelle. Et c’est aussi pour cette raison qu’elle se précipita dans la direction du nouveau sifflement quelle venait de percevoir. Une maman avait besoin de la magie arc-en-ciel que reflétaient les ailes brillantes de ces superbes créatures pour endormir son enfant. La papillonne voulait être la première arrivée pour bercer l’enfant. Elle vola en prenant le risque de passer sous le nuage de neige rose afin de gagner du temps, car elle savait qu’elle ne serait pas la seule à vouloir à tout prix de cette mission…
     
    Gagné !
     
    Les humains qui connaissaient bien les papillons miroir, s’émouvait quand ils les voyaient faire la course, car il savait qu’il se battait pour aider un enfant. 
    Elle voleta longuement, patiemment au dessus du berceau, dans un rayon de soleil, renvoyant des touches de lumière colorées partout dans sa chambre. Puis l’enfant émerveillé s’endormit enfin. Elle préférait mille fois cela plutôt que de voleter autour du lit d’un partant afin d’alléger ses derniers instants. La papillonne, fatiguée mais charmée, se reposa un long moment sur le bord du berceau, regardant l’enfant dormir, veillant sur lui pour le cas où cas où il se réveillerait à nouveau… Une de ses plus belles missions. Elle aurait souri si elle avait eut des lèvres pour le faire. Elle écouta au dehors les sifflements qui l’appelaient ainsi que ses congénères. Elle les ignora et en laissa passer plusieurs avant de reprendre sa mission principale : aider ceux qui en avaient besoin. Elle avait peu de temps, car même si les “ miroirs“ vivent un peu plus longtemps que les autres, la vie des papillons est brève.
    Avant de repartir, elle se déposa tout en douceur sur la bouche de l’enfant qui remua furtivement les lèvres comme pour lui donner son dû, un simple baisé, pour dire merci. Puis, elle céda enfin à l’appel d’un sifflement lointain.
    C’était un sifflement que seul les papillons miroirs pouvaient percevoir, comme tous les sifflements qui leurs étaient destinés.
    Il fallait beaucoup de temps aux humains pour apprendre à les métriser. Certains n’y arrivaient jamais. Les plus doués savaient en plus faire comprendre aux papillons miroirs quel genre de services ils attendaient d’eux. Comme la maman de l’enfant qu’elle venait d’endormir.
     
    Elle partit en prenant soin de ne pas passer sous le nuage de neige rose qui commençait à perdre ses flocons. Elle hésita un court instant à répondre à l’appel qu’elle venait de percevoir, mais comme elle était la seule de son espèce aux alentours, elle s’y résigna. Il lui fallait aller butiner des fleurs de Sérac, elle était sûre que cela allait lui déplaire. Elle savait d’instinct que ces fleurs transparentes et extrêmement rares étaient glacées et fragiles, maintenu à l’abri de toutes sources de lumière, de bruits, de chaleur et que le simple battement de ses ailes risquait de les briser, ruinant sa mission ce qui lui était interdit. Pire encore, leur nectar était salé. Mais on avait besoin d’elle et elle devait s’y résigner. Là encore elle reçu un baiser en guise de remerciement, on l’embrassa un peu trop de fougue, mais elle comprit qu’on était plus que satisfait de son travail qu’elle avait effectué avec le plus grand sérieux.  Elle s’éloigna de cette mission rebutante, en se disant que c’aurait pu être bien pire. Elle avait aperçu au loin une nuée de ses congénères dorés occuper à accompagner les derniers instants d’un humain. Ils voletaient autour d’une de ces boîtes en bois dans lesquelles les humains étaient enfermés pour leur néant. La “dernière demeure’’ comme ils l’appelaient. 
     
    La journée se terminait elle pouvait enfin aller se reposer, mais elle hésita à rendre un dernier service. Le soleil était déjà couché pourtant il faisait encore un peu clair, ce qui laissait juste le temps pour un tout dernier vœu.
    Le nuage de neige rose lâchait ses derniers flocons. La papillonne servile décida d’effectuer encore une toute dernière mission, puis elle pourrait aller dormir. Fatiguée, elle oublia de se méfier et passa sous le nuage qui choisi juste ce moment pour s’alléger. Elle ne pu l’éviter et traversa la neige rose et fine qui rebondit sur le sol et sur ses ailes lui faisant des tâches bleutées qui ne partiraient probablement jamais. Elle en serait plus jolie et plus brillante, mais si les tâches ne partaient pas, elle risquait désormais de ne pouvoir effectuer que des tâches tristes et désagréables. Plus question d’endormir les nourrissons. Et pour elle les fleurs de Sérac, et l’accompagnement des dernières demeures. Cela la rendit triste.
     
     
    *
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    L’humain avait presque fini sa collection, une collection de choix qui faisait sa fierté. Toutefois, il lui manquait encore une pièce, une pièce rare. Cette idée l’agaçait et il savait qu’elle l’empêcherait de dormir tant que le problème ne serait pas réglé.  Il hésita un instant, jamais il n’avait fait appel aux papillons miroirs, eux seuls pouvaient satisfaire son souhait. Il lui fallait cette dernière pièce à n’importe quel prix.  Cette pièce-là, il ne la montrerait jamais à personne, il la garderait jalousement pour lui, il serait le seul à la contempler. C’était mal et il le savait. On lui en voudrait certainement. Mais il était trop fasciné, trop absorbé par sa collection, qu’il la voulait parfaite à tout prix. Il hésita un court instant, puis pour la première fois de sa vie, il siffla. Il se dit avec satisfaction qu’il ne se débrouillait pas trop mal.
    La papillonne s’envola vers lui et vers son destin. Elle se posa sur la main de l’humain qui avait besoin d’elle, celle-ci n’avait que cinq doigts un cas rare. De son autre main, il attrapa la papillonne avec douceur pour ne pas la froisser. Il la déposa délicatement, amoureusement sur une plaque de bois, puis d’un geste brusque, il l’empala. La papillonne ne s’offusqua même pas quand le pieux d’acier lui traversa le corps, elle était née pour faire plaisir. Puis se fut au tour de ses magnifiques ailes argentées désormais tachetées de bleues d’être épinglées. Elle mourut lentement repensant au plaisir qu’elle avait eut plus tôt en veillant sur l’enfant endormi   …
    L’humain était ravi du service que le papillon miroir venait de lui rendre. Un argenté, les plus rares et tacheté de neige, encore plus rare. La perfection inespérée. Sa collection était enfin complète, la perfection absolue la rendait unique,
    La papillonne venait de remplir sa toute dernière mission
     
    Il ne lui dit même pas merci

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